Terre inachevée - Trek Islande - Randonnée Islande

L’Islande en ligne de mire. On quitte le rythme familier pour s’élancer vers une terre de contrastes. Le vol trace le début d’une itinérance entre fjords et hautes terres, là où la nature domine. À l’arrivée, Reykjavík nous accueille, posé entre mer et montagnes. Le temps d’un transfert, on rejoint le centre-ville. Première nuit en Islande, dîner libre : chacun trouve son rythme, entre ambiance nordique et premières intuitions d’aventure.

Le jour se lève à peine que déjà, on quitte Reykjavík. Un vol intérieur nous propulse vers Egilsstaðir, porte d’entrée des fjords de l’Est. Le paysage change, s’étire, se creuse. Une route nous mène jusqu’à Bakkagerði, village discret niché entre mer et montagnes, comme posé là par hasard. On y déjeune, le regard déjà happé par les lignes du relief. Puis vient le moment de s’élancer. Le sentier s’ouvre, la marche commence. On quitte l’asphalte pour rejoindre à pied le refuge de Breiðuvíkurskáli, notre camp de base pour deux nuits. Le véhicule logistique prend un autre chemin, chargé de nos sacs, de quoi cuisiner, de quoi vivre. Nous, on avance léger, portés par l’élan du départ et la promesse d’un territoire brut.

Sac léger sur le dos, on quitte le refuge au matin. Le sentier s’élève doucement, puis s’ouvre sur la baie de Brúnavík, langue de mer posée là, face à l’Atlantique Nord. L’air est vif, les couleurs tranchées. On avance entre mer et montagne, au rythme du groupe. Le col de Súluskard se dessine, passage minéral entre deux mondes. De l’autre côté, le décor bascule : roches rhyolitiques, strates multicolores, reliefs sculptés par le vent et le temps. On descend vers Breiðavík, la « large baie », vaste et silencieuse. Ici, tout est brut, organique, vibrant. On rentre au refuge, avec les images du jour.

Le ciel décide. Selon les humeurs du vent et de la lumière, on met le cap vers les hauteurs. Le sentier longe Sólarfjall, la « montagne du soleil », avant de s’orienter vers Leirfjall, face à l’étonnante Hvítserkur. Là, le relief se fait œuvre : un versant de rhyolites veinées de basalte noir, un tableau minéral. On avance dans cette matière brute, entre lignes et couleurs, jusqu’au refuge de Húsavík. Derniers pas dans la petite baie, le regard posé sur l’eau.

Aujourd’hui, le relief s’ouvre plus. On prend de la hauteur pour longer les crêtes qui dominent Lodmundarfjörður, fjord encaissé, secret, sculpté par les âges. À mesure qu’on avance, le paysage se déploie : à la jonction avec Seyðisfjörður, la vue plonge sur l’océan, vaste à l'horizon. Le sentier file sur les hauteurs, cap sur le fond du fjord. Là, quelques bâtisses résistent au temps, témoins d’une vie passée, quand ces terres fertiles nourrissaient encore des familles au début du XX? siècle. On marche dans cette mémoire, entre ciel et mer, dans un territoire qui raconte sans bruit. Nuit en refuge.

Dernier jour de marche dans les fjords. On emprunte le seul passage praticable entre Lodmundarfjörður et Seyðisfjörður, comme le faisaient les habitants autrefois, à pied, par nécessité. Le sentier nous mène jusqu’à la ligne de crête, là où les deux fjords se rejoignent. Vue plongeante sur Seyðisfjörður, ses vingt kilomètres encaissés entre deux versants abrupts. Le regard glisse jusqu’au village éponyme, posé au fond du fjord, l’un des plus agréables de l’île.
Puis le mouvement change. Premier trajet en bus pour rejoindre Egilsstaðir, centre de services aux portes des hautes terres. Changement de véhicule, changement d’élan : on embarque pour six jours en minibus privatif, cap sur les terres les plus isolées du pays. Ravitaillement, puis la route s’élève vers les highlands. On longe les forêts du Lagarfljót, les plus vastes d’Islande, avant de faire halte aux chutes de Hengifoss, où les orgues basaltiques dessinent des colonnes de pierre rouge et noire.
On quitte les dernières fermes. Le paysage s’ouvre, se vide, se tend. La montagne Snæfell se dessine à l’horizon. Fin de journée au refuge, posé sur le plateau. On s’installe mais l’itinérance dans le désert commence.

Snæfell se dresse, solitaire, magnifique volcan éteint. Il marque le seuil des hautes terres inhabitées, frontière naturelle entre ce qui est encore accessible et ce qui ne l’est plus tout à fait. On marche dans ses parages, on est attiré par l'immensité des espaces. Puis le minibus s’élance sur des pistes reculées, cap sur l’arc du rift du nord. Le décor se transforme. La végétation s’efface, les couleurs se durcissent. Le sol devient cendre, roche, sables. La progression ralentit, comme si le paysage imposait son propre temps. 
Peu à peu, les versants du glacier Vatnajökull apparaissent à l’horizon. Le noir des laves tranche avec le blanc de la glace. Le contraste est saisissant, presque irréel. On avance dans ce territoire comme venu d’ailleurs, brut, organique, vibrant. En fin de journée, on atteint le pied des Kverkfjöll., juste a pied de la gigantesque calotte glaciaire de Vatnajökull. Installation en refuge. 

On prend de la hauteur. Direction le massif des Kverkfjöll s’ouvre à nous, austère, silencieux, vibrant. Encore un autre volcan caché sous la glace. Là-haut, le glacier Kverkjökull s’étale, massif, impassible. A pied, on domine ses lignes, ses crevasses, ses reflets. Le paysage autour est brut, noir, parfois strié de vert fluorescent, les mousses vertes sur cendres volcaniques. Le rift est là, vivant, mouvant, cassant et perçant la glace. Chaque pas nous enfonce un peu plus dans un territoire qui semble hors du temps. À l’horizon, d'autres versants du Vatnajökull apparaissent, selon la météo et le sentier choisi. La sensation est unique, on est si petits sur ces géants. En fin de journée, on boucle cette magnifique randonnée. Le décor est posé. Nuit en refuge.

Le matin, on quitte les pentes du glacier pour traverser un plateau improbable, aux allures martiennes. Le sol est sec, poreux, presque lunaire. À mesure que l’on approche du massif des Dyngjufjöll, les pierres ponce se multiplient, légères, friables, comme soufflées par le temps. Le paysage devient silence. Le voyageur ralentit, habité par l’impression d’entrer dans un monde à part, un désert minéral.
En fin de matinée, on atteint le refuge de Dreki, posé au pied du massif. Là, les Dyngjufjöll encerclent la caldeira d’Askja, vaste bassin effondré de cent kilomètres carrés. Deux lacs s’y nichent : Öskjuvatn, d’eau froide, né de l’éruption de 1875 dont les cendres volèrent jusqu’en Scandinavie ; et Viti, le 'cratère de l’enfer', aux eaux tièdes et laiteuses. On marche dans ce décor volcanique, si étrange qu’on se demande s’il est bien réel. Le sol fume, les couleurs vibrent, le corps avance, lentement, dans un paysage qui semble rêvé. Nuit dans les environs.

Le matin, on quitte les terres volcaniques pour traverser les plateaux. Herdubreid, la « reine des montagnes », se dresse à l’horizon, silhouette parfaite, avec son sommet tabulaire. Le regard reste accroché à sa forme pendant des heures. En route, on fait un détour à pied par les gorges de la Jökulsá á Fjöllum, creusées par des crues cataclysmiques. Le plateau semble avoir été tranché net, brutalement, en témoigne la forme des roches. Les chutes de Dettifoss grondent au fond, puissantes, indomptées. Dettifoss c'est la puissance incarnée, on profite des embruns...
Puis le décor change. Le minéral s’adoucit, la roche s’efface. On approche du lac Mývatn, étonnamment frais, bordé de zones presque luxuriantes comparé aux deux jours précédents. Le contraste est saisissant. On arrive en fin de journée, le corps encore imprégné des secousses du rift, l’esprit déjà apaisé par la promesse d’un nouveau relief pour nourrir le regard. Installation et nuit dans les environs. 

Mývatn est une parenthèse. Une oasis fragile, bordée de colonies de canards sauvages, menacée par l’immensité noire de l’Óðádahraun, le plus vaste désert de lave de l’île. On randonne dans la lave de Leirhnjúkshraun, entre marmites de boue et fumerolles, avant de rejoindre Námafjall, où la terre semble prête à exploser. Le sol vibre, l’air est chargé, les couleurs saturées.
Le cratère Hverfjall offre une vue imprenable sur le lac, puis le sentier nous mène vers les formations ruiniformes de Dimmuborgir, sorte de cheminée de fées volcanique, comme un décor de légende. 
On reprend la route. Pause à la chute de Goðafoss, pour se rafraîchir les idées. L’eau bondit, le bruit emplit l’espace. Puis le col d’Öxnadalur (ou le nouveau tunnel) nous fait basculer dans un autre fjord, le vaste Eyjafjördur. Passons d'eaux froides aux eaux chaudes : arrêt dans un bain chaud aux coeur d'une des rares forets du pays. Un peu de bien être offert par la chaleur des volcans.
Akureyri nous accueille, posée au fond du plus long fjord d’Islande. La ville réapparait. Nuit dans les environs. 

Dernier jour de route. On quitte Skagafjörður pour s’élancer sur la piste de Kjölur, ligne minérale qui traverse l’île du nord au sud. Le paysage se tend une dernière fois : plateaux de pierres et de sable, entre les glaciers Hofsjökull et Langjökull. L’horizon est vaste, brut, silencieux. À Hveravellir, la terre respire encore : marmites bouillonnantes, jets de vapeur, source chaude.
Puis vient Gullfoss, chute étagée, puissante, élégante. Elle marque la sortie des hautes terres. À quelques kilomètres, Strokkur surgit du sol, geyser régulier, presque hypnotique.
La route se peuple. Les fermes réapparaissent, les villages aussi. On traverse une Islande plus fréquentée, plus accessible. Et c’est là, dans ce retour au monde habité, que l’on mesure l’isolement des jours passés.
Arrivée à Reykjavík en fin de journée. Le voyage s’achève bientôt.

Dernier jour, libre. Reykjavík s’offre comme une pause, une transition douce entre les hautes terres et le retour. Chacun trouve son rythme : flâner dans les rues, s’attarder dans un café, marcher jusqu’au port, s’imprégner une dernière fois de l’air islandais. Le corps ralentit, l’esprit vagabonde encore dans les fjords, les cratères, les plateaux..