Yaël Nazé : le grand voyage de la lumière
Un noir profond, et des milliards de points lumineux. C’est tout ce que l’oeil humain perçoit lorsque le regard s’aventure dans le ciel nocturne. Et pourtant. Parcourant des milliards de kilomètres, la lumière qui nous parvient est une sacrée voyageuse. D’où vient-elle ? Que signifie-t-elle ?
Yaël Nazé, astrophysicienne à l’Université de Liège, est partie avec nous sur la piste aux étoiles.
— Terres d'Aventure : Comment est né votre intérêt pour l'astrophysique ?
Yaël Nazé : À vrai dire, je ne peux pas identifier d'évènement fondateur, même si comme beaucoup d'enfants je lisais des livres sur l'espace et l'univers. Tout ce que je sais, c'est que j'ai décidé de faire de l'astrophysique à l'âge de 10 ans. J'ai eu la chance d'être encouragée par mes parents qui m'ont emmenée visiter l'observatoire de Haute-Provence, puis le téléscope de Nançay – une manière de rendre concret ce métier dont finalement j'ignorais tout. Ensuite, j'ai écrit à l'observatoire de Liège pour leur demander quelles étaient les études à suivre. Je suis ainsi devenue ingénieure, avant de décrocher mon doctorat en sciences en 2004. J'ai dédié ma thèse à l'étude des « étoiles massives », ces astres rares dont la luminosité est un million de fois supérieure à celle de notre Soleil. Je les qualifie de « reines de la population stellaire » tant elles sont influentes. Ce sont elles qui provoquent la naissance de nouvelles étoiles, en éteignent d'autres, et affectent toute la galaxie lorsqu'elles meurent en explosant en supernova... À ce jour on n'en connaît que quelques centaines, c'est très peu à l'échelle de l'univers.
— T.A. : L'image d'épinal montre l'astronomie - un vieux monsieur solitaires à la longue barbe - l'oeil rivé à son téléscope. Que signifie pour vous être une femme dans le milieu de l'astrophysique ?
Y.N. : Personnellement je n'ai jamais ressenti de discrimination à cet égard, ou bien j'étais trop affairée pour m'en rendre compte. Néanmoins il est vrai que dans l'histoire de l'astronomie, les femmes sont très méconnues ! On cite volontiers Galilée ou Kepler mais on oublie complètement toutes ces femmes astronomes dont les découvertes ont parfois été tout autant majeures. C'est d'ailleurs pour les faire connaître que j'en ai fait un livre (L'astronomie au féminin, éd. Vuibert, 2006). On a des exemples de femmes étudiant l'astronomie il y a de cela plusieurs millénaires, jusqu'à 24 siècles avant notre ère. Deux figures majeures de l'astronomie du XXe siècle m'ont marquée : Annie Cannon, une universitaire américaine qui a trouvé le moyen de classifier la population des étoiles en leur attribuant une lettre selon leur signature lumineuse – un système encore utilisé aujourd'hui, et Henrietta Leavitt, à qui l'on doit la découverte de la loi permettant d'arpenter l'univers. Grâce à elle, on a pu montrer que le Soleil n'était pas au centre de notre galaxie, qu'il existait même d'autres galaxies, et que l'univers était en expansion.
— T. A. : En astronomie, la lumière est cruciale. En voyageant jusqu'à nous, elle nous montre l'univers tel qu'il était il y a des milliards d'années. Regarder les étoiles, c'est voir le passé. C'est une puissante machine à remonter le temps !
Y.N. : C'est évidemment un phénomène très particulier. On ne voit pas l'univers tel qu'il est aujourd'hui. D'ailleurs, on n'a aucune idée de ce à quoi il ressemble actuellement, et surtout, on ne le pourra jamais. D'un point de vue scientifique, c'est difficile à accepter. En même temps, c'est une chance incroyable de pouvoir observer son évolution. Les preuves du passé sont littéralement sous nos yeux. J'utilise souvent l'analogie suivante pour décrire ce voyage dans le temps. Imaginez que vous ayez un correspondant au Chili. Pour vous donner des nouvelles, il vous poste le journal du jour. Le temps que vous le receviez, ce ne seront plus les nouvelles du jour. Comme le journal, la lumière met un certain temps à arriver. Ce n'est pas pour autant que c'est inintéressant, vous avez quand même des nouvelles du Chili !
— T.A. : Quelle est la lumière la plus lointaine, donc la plus ancienne, que l'on ait observé ?
Y.N. : La plus ancienne remonte à environ 380 000 ans après le Big Bang. C'est ce que l'on appelle le « rayonnement de fond cosmologique ». Cette lumière a été découverte en 1965 et a valu un prix Nobel à Arno Penzias et Robert Wilson, deux ingénieurs radio. Après avoir détecté un signal plus fort que prévu, ils consultent des collègues et réalisent ensemble qu'il s'agit du rayonnement émis par l'univers dans sa phase très chaude et très dense.
On se représente souvent le Big Bang comme une explosion de lumière, mais cette vision n'est pas tout à fait correcte. Pour cela, il faudrait qu'il se produise à l'intérieur de quelque chose, or il EST l'univers tout entier. Il faut plutôt imaginer un brouillard brillant dans lequel on trouverait la matière et la lumière totalement mélangées, formant un ensemble extrêmement chaud.
Juste après le Big Bang, la matière et la lumière étaient continuellement en interaction. Ce n'est qu'en refroidissant que l'univers a vu les atomes s'organiser. La lumière a enfin pu se séparer de la matière. C'est le moment où l'univers est devenu transparent.
— T.A. : Pierre de Fermat a énoncé un principe phare au XVIIe siècle : pour définir le trajet de la lumière entre deux points, il dit que "la nature procède par les voies les plus économiques", c'est à dire que la lumière va prendre le trajet le plus court. La lumière est donc une voyageuse économe ?
Y.N. : En effet ! On retrouve cette même idée dans la théorie de la relativité générale. Dans un milieu homogène, la lumière va d'un point A à un point B à vitesse constante par une ligne droite. En revanche, l'espace-temps est déformé près des objets massifs et le chemin le plus court est alors courbe, ce qui crée des mirages gravitationnels. Un phénomène similaire se produit dans le désert où l'air chaud est moins dense que l'air froid. La lumière va prendre un trajet différent, mais le cerveau pensant en ligne droite, on a l'illusion d'un mirage.