Wheeled World – À l’assaut du Kilimandjaro en fauteuil roulant

Myriam et Pierre s'étaient fixés un défi par continent : après avoir gravi les marches du Machu Picchu et traversé la Nouvelle-Zélande en tandem, ils ont mis en pause leurs voyages lointains pendant la pandémie pour partir à la découverte de la France. En juillet, après deux ans d'attente, ils ont pu réaliser leur aventure tanzanienne. Récit.

6 juillet 2022, c'est le grand départ. Cela fait deux ans que nous attendons de nous lancer dans ce défi un peu fou. Depuis six mois, nous suivons une préparation sportive intensive avec des coachs spécialisés et un nutritionniste. En juin, c'est à Chamonix que nous avons testé notre fonctionnement en trio avec Nicolas, notre associé et le photographe de l'équipe, qui prendra part à l'aventure. Une personne qui tire devant avec des cordes, l'autre qui pousse : le dispositif a l'air de marcher, on gravit les pentes ardues de Haute-Savoie au prix d'un effort collectif intense, mais sereins sur nos chances de nous en sortir sur le Kilimandjaro.

Rien n'a été laissé au hasard, de la préparation du parcours avec Terres d'Aventure et leurs guides tanzaniens à la conception du fauteuil de l'ascension par Mouloud, le fournisseur de fauteuil de Pierre.

Pas de doute, nous sommes prêts : la seule inconnue, notre résistance à l'effort en altitude. Les tests d'hypoxie nous ont donné quelques indices, mais ne peuvent rien garantir : pas le choix, on verra bien sur place.

Par le hublot de l'avion, on aperçoit le sommet enneigé que l'on espère atteindre dans quelques jours. Des rêves plein la tête, on atterrit à Kilimandjaro Airport où nous rejoint le reste de l'équipe : Cécile, la sœur de Pierre, Fabien, venu réaliser un documentaire sur l'ascension, et Pierre, un ami.

La veille du départ, une journée d'entraînement sur le Mont Meru avec les guides qui encadreront l'ascension nous permet de nous mettre dans le bain : deux roues cassées, un rattrapage in extremis évitant la chute dans un ruisseau... Le Kilimandjaro s'annonce épique !

Fauteuil réparé dans la nuit et prêts au départ, c'est à Marangu Gate que nous retrouvons l'équipe au complet : en tout, 16 guides et porteurs pour nous accompagner dans cette aventure, pour 1000 mètres de dénivelé positif à gravir par jour entre chaque étape, et un objectif : Uhuru Peak, le sommet du toit de l'Afrique, à 5 895m. Il nous faudra trois jours pour atteindre le sommet, entrecoupés par une journée d'acclimatation à 3 700 mètres d'altitude, puis trois jours pour redescendre. Nous passerons par la voie Marangu, dont la pente relativement constante et les nuits en refuge nous ont rassurés lors de la planification de l'expédition : pas d'alpinisme ou d'escalade nécessaires, la voie Marangu n'exige que l'effort de la marche pour parvenir au sommet de ce volcan endormi.

Dès la première étape, les difficultés du terrain rendent la progression longue et difficile. Les rochers glissants qui jonchent la forêt tropicale au pied du Kilimandjaro obligent l'équipe à soulever régulièrement Pierre et son fauteuil, alourdi par les nouvelles roues de moto installées la veille pour remplacer celles qui avaient été cassées. L'arrivée au premier refuge se fera de nuit, à la frontale... Tout comme le deuxième, malgré une équipe qui redouble d'efforts et d'ingéniosité pour avancer : le troisième jour, l'acclimatation offre à tous une pause bien méritée !

Chaque matin, Abeid, le chef guide de l'expédition, vérifie l'état de santé de l'équipe : appétit, fatigue, éventuels maux de tête, taux d'oxygène dans le sang... Tout est contrôlé pour s'assurer que chacun est en mesure de continuer à grimper, en bonne santé et en toute sécurité. Marangu Gate : 1800m. Mandara Hut : 2800m. Horombo Hut : 3700m. Kibo Hut : 4700m. Chaque pas nous rapproche du sommet, et chaque nouvelle étape est une victoire. Mais arrivés à Kibo Hut, Nicolas est contraint de redescendre par un mal aigu des montagnes. Les règles de l'altitude se rappellent à nous : en montagne, il faut accepter de ne pas tout maîtriser.

Le 14 juillet, c'est le cœur lourd mais déterminés que nous entamons l'ascension finale à l'aube, sur une pente de sable à pic, vers le sommet. Après 6 heures à batailler contre le sable, la gravité et l'altitude, nous pénétrons dans Jamaica : une zone d'éboulements remplie de rochers massifs. La progression ralentit mais le sommet se rapproche. Nous donnons tout pour atteindre a minima Gilman's point, le premier sommet officiel du Kilimandjaro, à 5 756 mètres d'altitude. Malgré des efforts qui dépassent l'imagination depuis plusieurs jours, Abeid et son équipe sont prêts à continuer à tout faire pour arriver au sommet. Mais les bras et les jambes fatiguent, le jour avance et le ciel se couvre.

Au fur et à mesure que l'équipe progresse, les rochers sont de plus en plus proches les uns des autres, les chemins de sable plus étroits et glissants. En continuant, nous risquons de devoir redescendre à la nuit tombée. À 15 heures, les blocs rocheux qui se dressent devant nous nous contraignent à prendre une pause : il faut nous rendre à l'évidence, terminer l'ascension serait trop dangereux, pour Pierre et pour l'équipe. Nous ne voulons pas prendre le risque que l'un de nous se blesse. Le cœur brisé de voir le sommet si proche mais convaincus d'avoir atteint nos limites, nous décidons de faire demi-tour, à 5 566 mètres d'altitude. L'aventure prend fin ici, à quelques dizaines de mètres de l'objectif.

Une aventure extraordinaire dont nous ne garderons que de magnifiques souvenirs : ceux de rencontres inoubliables, d'un effort collectif intense, d'une solidarité à toute épreuve et d'un optimisme sans faille.

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