Lux(e) ou la luminothérapie
L’homme, peut-être bien, est un genre de luciole. Il cherche la lumière, danse dans son rayon, suit le chemin qu’elle indique : la joie, la nostalgie, les fugacités intellectuelles, les instants de légèreté.
Entre les lignes, la lumière sait toujours se glisser : discrète ou éclatante, elle influe sur la condition humaine et imprime ses nuances dans les souvenirs et l'expérience. Du réveil au coucher, nous la guettons. Du bout du monde aux ruelles de notre quartier, nous la veillons. Miscellanées éclairées.
« Les climats, les saisons, les sons, les couleurs, l'obscurité, la lumière, les éléments, les aliments, le bruit, le silence, le mouvement, le repos, tout agit sur notre machine, et sur notre âme. » Flash. Nous sommes en 1782 : figure de proue des Lumières, Jean-Jacques Rousseau n'est plus, mais ses Confessions, enfin publiées, offrent au XVIIIe siècle une permission salutaire, magistrale bouffée d'air : assumer le lien tissé entre l'humain et l'environnement.
L'humain : de la chair, donc, et de l'énergie, et de l'esprit. Du corps, du coeur, des intentions. De l'organique, beaucoup, de la mécanique, et une foule de ressentis. Alors que la pensée, à l'époque, s'émancipe, tout s'éclaire : l'homme n'est pas dissociable de ce qui l'entoure. Il s'intègre dans son monde et fonctionne à la façon d'un halo : il absorbe ce qui gravite autour de lui.
Surtout, il cherche ce dont il a besoin. Sans lumière ? Il s'éteint. Qu'elle soit franche, blanche, qu'elle cajole ou brutalise, qu'elle tamise, apaise, revigore ou égratigne, elle règne en maître sur l'expérience humaine et les émotions.
À l'ère des Lumières, justement, les lecteurs se passionnent pour les récits de voyage. Pas un hasard : les descriptions se libèrent, le public en raffole et le genre ne faiblit pas. Un siècle plus tard, Eugène Fromentin décrit ainsi sa remontée du Nil : « Les nuages se dissipent. Il reste un rideau sans épaisseur au nord. Au levant, de légers flocons ; au sud, pas une trace. Le brouillard des horizons se dissipe à mesure. Les collines se nuancent de gris, de jaune clair, de violet, de gris bleuâtre, arêtes vives. Au-dessous du soleil, bande ferme de dessin, de couleur neutre. Le large miroitement du Nil, sous le soleil, est éblouissant. »
Le voyage est une expérience intime, le voyageur un témoin. La lumière, à chaque étape, l'accompagne : impossible de dissocier un moment de vie de l'éclairage qui lui donne sa couleur. Dès le XIXe siècle, la médecine l'affirme : baignés de lumière, nous allons bien.
Mieux. Niels Finsen, médecin de nationalité danoise né en 1860 dans les îles Féroé, reçoit en 1903, soit un an avant sa mort, le prix Nobel de médecine pour son travail sur l'effet thérapeutique des rayons lumineux. L'héliothérapie — thérapie par l'exposition aux rayons, notamment ultraviolets, émis par le soleil — concentre alors les regards : le bain de soleil joue un rôle de premier plan dans le traitement de la tuberculose. Les sanatorium se développent. Le docteur Auguste Rollier pilote dès 1903 à Leysin, en Suisse, la première « Sun Clinic », laquelle prône alors l'association altitude et soleil. L'héliothérapie, agent actif numéro un dans la lutte contre la tuberculose ? Oui. Et contre les maux de la peau, et les douleurs chroniques et autres coups de mou.
« Chacun cherche son soleil, bienfaiteur. » Portés par cet engouement, les voyages s'adaptent : logique... Chacun cherche son soleil, bienfaiteur. Aujourd'hui, combien de séjours, dans les brochures des voyagistes, portent le nom de « lumière » ? « Lumières du Nord », « Lumières andalouses », « Lumières andines », etc. Nous nous laissons séduire : l'appel du rayon de lune ou de soleil nous ensorcelle. Pour les marketeurs de tous poils, le phénomène porte un nom — le « mood lighting » — et revêt tant d'importance que les compagnies aériennes, par exemple, accordent désormais le plus grand intérêt à l'éclairage de leurs cabines. La lumière signe une atmosphère : qu'elle soit délicieuse, et nous sommes marqués à jamais. Comme sur une photo, l'instant est gravé. Puisque nous en sommes là, notez : en 1797, Nicéphore Niepce et son frère Claude eurent l'idée de la photographie lors d'un voyage en Sardaigne. La lumière, le voyage. Que le plus élégant des arts naisse d'un tel mariage n'a rien d'un hasard : il ne nous reste alors à nous, humains, qu'à l'accompagner en chemin.