Terre, une invitation au voyage

Le Bhoutan à vélo

Thomas Callens
Le Bhoutan à vélo

Lové parmi ses montagnes creusées de vallées et de monastères, le Bhoutan voit la vie en vert. Son atmosphère sereine est idéale pour l’exploration. C’est à vélo que Thomas, concepteur de voyages chez Terres d’Aventure, s’est confronté à son terrain montagneux, ses cols et ses villages pittoresques.

J'ai l'habitude de me déplacer dans les pays de l'arc himalayen pour concevoir des itinéraires pour Terres d'Aventure. Aujourd'hui, je me rends au Bhoutan. Et le déplacement professionnel est associé à un challenge sportif de taille : traverser la moitié du pays à vélo, de Thimphu à Bumthang, puis s'aligner sur la ligne de départ du « Tour of the Dragon », une course cycliste unique en son genre.

L'Arrivée à Paro

Kuzuzangpola ! (« Bonjour » !) L'accueil est chaleureux, très traditionnel. Jamyang, Nima, Tsering, Peday, Sonam, l'équipe bhoutanaise de Terres d'Aventure, sont là pour m'accueillir. J'ai l'impression d'avoir fait un saut dans une faille spatio-temporelle : en tenue traditionnelle, les hommes portent le gho, les femmes la kira ; il n'y a pratiquement pas de circulation. Pourtant, une chose me surprend : tout le monde est scotché à son smartphone, et les premiers « selfies » pleuvent déjà. Je colle mon visage à la vitre du minibus. Quelques maisons typiques sont éparpillées au milieu des champs de maïs, d'orge ou des rizières verdoyantes. Du haut de son éperon rocheux, le dzong, l'édifice qui sert de centre religieux et administratif, domine la petite ville de Paro. Nous la traversons et continuons notre remontée de la vallée jusqu'à l'hôtel, une maison massive construite en pierre et en bois. Le hall est immense, décoré de colonnes et moulures de bois peintes de couleurs vives. Sur les murs, les portraits des rois successifs du Bhoutan, ainsi que d'immenses toiles relatant la vie de Bouddha et des divinités de cette religion d'État, me donnent l'impression d'être dans un musée. Au premier étage, un petit lhakhang, où brûlent des lampes à beurre, permet aux employés et aux hôtes de se recueillir. Il y règne un calme monastique. Dans le jardin, le chant des oiseaux, les bruits du ruisseau, la fraîcheur de l'air... Tout est quiétude et sérénité. Le bonheur national brut, indice permettant de mesurer le bien-être des Bhoutanais, n'est donc peut-être pas qu'une ligne dans la Constitution.

Moulins à prières, Dzong de Paro - ©Thomas Callens

Thimpu : en selle !

Paro est située à 2 200 mètres d'altitude. L'itinéraire prévu à vélo pour rejoindre Bumthang passera par trois cols à plus de 3 000 mètres. Je pars m'acclimater jusqu'au monastère de Taktsang avec Tsering et Peday. Plus connu sous le nom du Nid du Tigre, il est accroché à la falaise, à 900 mètres au-dessus de la vallée de Paro. La montée serpente à travers une forêt de rhododendrons et de chênes recouverts de mousse. L'ermitage, escamoté par le brouillard, se dévoile au dernier moment. Méditation et observation de la vie monastique... Un autre rythme. De Thimphu, nous poursuivons notre périple vers l'est. Voyager à vélo, c'est le moyen idéal de visiter un pays : on prend son temps, on s'arrête pour regarder, on s'immerge physiquement dans le paysage. Surtout au Bhoutan où le rythme sur les routes est très lent, comme dans tous les pays de l'Himalaya. Il faut vite abandonner la frénésie qui nous anime dans les rues parisiennes, elle n'est pas compatible avec le mode de vie bhoutanais ! Ici, pour un trajet, on ne parle pas en kilomètres mais en durée. Peu de voitures, des vaches couchées sur le chemin. Sur son deux-roues, on attire le regard, le contact. Les enfants qui parlent tous parfaitement l'anglais viennent nous saluer. Le vélo est un facilitateur de contacts, mais aussi un moyen de traverser en une journée de nombreux paysages et de franchir les cols et les vallées.

Premier objectif, le Dochu La (3 115 mètres), 17 kilomètres de montée. La pente est raide, le rythme lent, le souffle court, les muscles des cuisses et des mollets brûlent. En gagnant de l'altitude, les paysages changent. À Thimphu il faisait plus de 25°C, nous roulions à travers une forêt de pins. Une averse nous rappelle que la saison des pluies n'est pas terminée. La forêt est maintenant constituée de chênes et d'immenses pruches de l'Himalaya recouverts de lichens. Nous avons perdu 15°C. Au col, je découvre un ensemble de 108 chörtens trônant au milieu de la route. Il faut à chaque fois faire trois fois le tour dans le sens des aiguilles d'une montre. Un rituel issu du bouddhisme tibétain, qui suit symboliquement la course du soleil, et que je me suis attaché à bien respecter. Pas question de tenter le mauvais karma. Je n'ai pas crevé, ne suis pas tombé, n'ai pas été malade... donc ne jamais oublier les trois tours, dans le bon sens ! 

Monastère de Taktshang - ©Thomas Callens

Punakha - Gangtey

Nous roulons maintenant entre les rizières de la vallée de Punakha. Le temps se dégrade rapidement. Une dernière petite bosse et nous atteignons la guest house en plein déluge. Depuis le jardin fleuri, la vue sur le dzong de Punakha, situé au confluent des rivières Pho et Mo (« père et mère »), est grandiose ! Au petit matin, la météo est toujours capricieuse. Je décide avec le reste de l'équipe de quitter la vallée de Punakha en voiture et de rejoindre Wangduephodrang. Là, j'enfourche mon vélo en direction du col Pele La (3 390 mètres). Dans le bas de la vallée, j'évolue entre rizières et hameaux isolés. J'en profite pour interroger Tsering, mon guide, sur les étranges peintures qui m'intriguent depuis mon arrivée : des représentations plus ou moins réalistes de phallus généralement accompagnés d'un dragon ou d'un tigre. Elles visent à protéger les maisons et les habitants du mauvais oeil et des rumeurs, m'explique-t-il. J'entame la descente en direction du village de Gangtey. Dès le premier virage, je manque de me faire encorner par une vache. Quand je vous disais que le voyage à vélo facilite le contact ! Les écoliers nous suivent en courant et nous saluent : "Kuzuzangpo, Kuzuzangpo, Kuzuzangpo !" Dans cette vallée, le passage de cyclistes, et de touristes en général, est rare. Elle est pourtant enchanteresse, avec ses immenses forêts de pins et ses quelques hameaux disséminés. Grâce au climat tempéré, les habitants cultivent ici l'une des meilleures variétés de pomme de terre du pays. Elles sont vraiment bonnes, foi de cycliste !

Descente du Pele La en direction de Trongsa - ©Thomas Callens

La chaîne de montagnes noires

Le village de Gangtey s'anime dès les premières lumières du jour. Le soleil brille sur la vallée de Phobjika mais l'étape de la veille — six heures en selle — a laissé des traces. Nous regagnons en voiture le Pele La d'où j'entame 65 kilomètres de descente sinueuse. Certaines portions de la route, en construction, sont très accidentées, d'autres fermées à cause des glissements de terrains. Les paysages défilent rapidement. À partir de Tshangkha, la route est creusée dans la falaise. Tsering nous propose de rejoindre le col Yotong La en véhicule afin de profiter de la fin de l'étape qui nous permettra d'atteindre Bumthang. Les pluies des derniers jours ont rendu impraticables à vélo les dix derniers kilomètres menant au col. Situé à 3 425 mètres, il offre une vue spectaculaire sur Trongsa. Le regard se porte jusqu'aux basses vallées, frontières avec l'Inde voisine. Les 40 prochains kilomètres se feront sur une piste caillouteuse. Jusqu'à Chumey, des arbres de plusieurs dizaines de mètres de haut nous dominent. L'arrivée sur Bumthang se fait à la nuit tombée. Le vélo grince, les muscles tirent.

Drapeaux à prières, Kiki La pass, Jakar, Vallée de Bhumthang - ©Thomas Callens

Bumthang, à 2500 mètres d'altitude

Finalement, compte tenu de la météo annoncée, je décide d'être raisonnable et de ne m'aligner demain que sur la « petite » course de 60 kilomètres qui partira de Lobeya. Il fait chaud, très chaud. Nous sommes environ 80 sur la ligne de départ pour 39 kilomètres de montée jusqu'au Dochu La et 21 kilomètres de descente pour rejoindre Thimphu. Les coureurs locaux sont loin devant, fin connaisseurs de leur col fétiche. À mon arrivée, toute l'équipe qui m'avait accueilli à l'aéroport est présente, avec le même sourire, et le smartphone à la main pour les photos ! Depuis mon arrivée jusqu'à la fin de cette course, je suis resté sous le charme du Bhoutan. Le lendemain, c'est déjà avec l'envie d'y revenir que je quitte ce pays enchanteur.

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