Terre, une invitation au voyage

Des coraux et des hommes

Christophe Migeon
Des coraux et des hommes

Autour des îles de la province indonésienne de East Nusa Tenggara, la mer tachetée de petits moutons blancs abrite des récifs coralliens qui, pendant des siècles, ont assuré la subsistance des populations locales.

Mais des techniques de pêche destructrices conjuguées à un réchauffement général des océans ont mis en péril les coraux et les hommes qui en vivaient. Terres d'Aventure, par l'intermédiaire de sa fondation Insolite Bâtisseur, apporte son soutien à l'association Coral Guardian qui tente de rétablir ce fragile équilibre en menant de front conservation marine et développement social.

Au large de Florès, une poignée d'îles décharnées, tondues ras par le cagnard et les chèvres, flottent dans le turquoise. Quelques arbres s'entêtent à y pousser et forment un semis de petites boules vertes comme celles que l'on colle sur les maquettes d'architecte. L'intérieur des terres, morne roulis de savanes d'herbes fauves et de collines déplumées, n'invite guère à la promenade. Le soleil frappe comme un sourd sur la peau tendue de la mer. C'est là, sous la surface scintillante, que réside la seule vraie richesse de la région : le récif corallien, prolifique source de vie, bienveillant refuge pour un quart des espèces marines, généreux garde-manger pour les populations du littoral, indispensable barrière naturelle contre les inondations et l'érosion.

Membre de l'équipe locale transplantant des colonies coralliennes sur le platier avant d'installer la structure sur la zone de restauration.

Les coraux en danger

Cet extraordinaire vivier de biodiversité et de protéines s'avère hélas bien vulnérable. Partout dans le monde, les colonies coralliennes sont à la peine. Depuis quelques dizaines d'années, le plongeur s'est habitué à survoler ces champs de débris recouverts d'algues, ces massifs mouchetés de blanc, signes évidents d'une funeste décrépitude. Fragiles et délicats, les coraux sont parmi les premiers à flancher en cas de dérèglement environnemental, un peu comme ces malheureux canaris des mines de charbon qui tournaient de l'oeil avant le coup de grisou et avertissaient le mineur qu'il était grand temps de remonter en surface.

L'augmentation de la température des eaux de surface, l'augmentation de la fréquence et de l'intensité des tempêtes et l'aggravation de l'acidification des océans — qui fait baisser le taux de calcification des coraux — les affectent gravement. Mais à ces maux qui affectent l'ensemble de la planète s'en ajoutent parfois d'autres, d'origine purement anthropique. Autour de Seraja Kecil et Seraja Besar, comme un peu partout en Indonésie, les pêcheurs ont longtemps abusé de la dynamite. Cette technique radicale interdite depuis seulement 20 ans a aujourd'hui disparu. La pêche au cyanure de potassium, sournoise car silencieuse — elle étourdit les poissons mais tue les polypes coralliens — est sans doute encore pratiquée de temps en temps pour ravitailler les bassins d'élevage des poissons d'aquarium. Martin Colognoli travaillait dans une ferme d'aquariologie à Bali qui se fournissait en partie en poissons capturés au cyanure.

En 2010, cet amoureux de la nature prend conscience de faire partie d’un système de prédation pervers et destructeur. Il fonde alors l’association Coral Guardian avec Guillaume Holzer, un passionné du milieu marin rencontré à Bali. Leur objectif : restaurer les récifs coralliens avec le concours des communautés locales.

L'équipe du village de Seraya Besar

Impliquer les populations

Pendant près de trois ans, les deux compères sillonnent l’archipel indonésien à la recherche d’un site susceptible d’accueillir leur projet.

« La difficulté était de trouver un endroit pas trop altéré par les activités humaines mais aussi et surtout de se faire accepter par les villageois pour les intéresser au projet » raconte Johanna Traversian, chargée de communication de l’ONG.

Après un essai du côté des Gili entre Bali et Lombok, ils jettent leur dévolu sur Pulau Hatamin, un îlot à 15 kilomètres au nord de Labuan Bajo, zone de pêche privilégiée des deux communautés de Seraja Besar et Seraja Kecil, respectivement 600 et 150 habitants, dont 90% de pêcheurs. Le récif y a été détruit par des années de dynamitage, et les prises de plus en plus maigres contraignent les gens à s’installer dans l’intérieur des terres. Enfin depuis la disparition du récif frangeant, l’érosion ne cesse de grignoter le littoral. L’endroit parfait ! Restait à convaincre les locaux et à se dépêtrer des filets de la redoutable administration indonésienne.

Zone de restauration corallienne âgée de 24 mois environ

« Chacun des deux fondateurs a passé cinq mois sur place. Le plus gros travail a été de sensibiliser la population » insiste Johanna Traversian. L’échec du projet Manta Reef à Gili Trawangan où les communautés locales et les hôtels s’étaient montrés complètement désintéressés et n’avaient assuré aucun suivi avait cruellement rappelé que rien ne pouvait se faire sans les hommes.

« C’est bien parce que l’association avait pris le temps de s’intégrer et de s’assurer de l’appui des villageois que nous avons décidé de les soutenir » explique Nathalie Boxberger, de la fondation Insolite Bâtisseur Philippe Roméro. « Leur projet avait toutes les chances d’aboutir ! »

Vers une gestion durable des récifs

Tout a commencé par le travail de restauration du récif : après un séjour de deux ans et demi en nurserie, les colonies — des branches de coraux cassées récupérées sur le fond — sont bouturées sur des structures métalliques déposées sur des fonds de 3 à 10 mètres. Depuis 2015, 26 000 colonies d’une cinquantaine d’espèces différentes ont été ainsi transplantées. La création d’une aire marine protégée de 629 ha associée à des campagnes d’information autour de techniques de pêche moins destructrices a fini par porter ses fruits. Les pêcheurs ont enfin réalisé que ce qu’ils avaient l’habitude d’appeler « karang » — pierre ou caillou en indonésien — était en fait un organisme vivant ! D’autres invertébrés n’ont pas tardé à se fixer à leur tour et, au fil des saisons, les poissons sont revenus. Les relevés biologiques ont révélé une augmentation de 195% du nombre d’espèces sur la zone de restauration. Mieux encore, les coraux transplantés semblent résister plus que les autres aux phénomènes de blanchissement successifs provoqués par l’augmentation de la température de l’eau.

Fragments tout juste bouturés de colonies coralliennes

« Le blanchissement est dû à la perte des zooxanthelles, des micro-algues symbiotiques, vivant au sein des tissus du corail. Cela affecte l’alimentation du corail, son métabolisme et donc sa capacité à construire un récif » explique Martin Colognoli.

« C’est une très bonne nouvelle, sachant que les colonies naturelles alentours ont subi des pertes massives avec plus de 60% de mortalité. »

Mais pour l’association, la restauration et la préservation du milieu marin ne sont que les deux premières étapes d’un processus plus profond. « Nous ne pouvons prétendre restaurer entièrement le récif » précise Johanna Traversian.

« Nous cherchons surtout à mettre en place des activités génératrices de revenus complémentaires basées en partie sur l’écotourisme de façon à assurer le développement social et économique des villages. Et les bénéfices engrangés par l’écotourisme permettront de financer de nouveaux projets durables pour les communautés locales. »

Le modèle semble faire ses preuves au point que les autorités indonésiennes ont demandé à Coral Guardian de le reproduire à Nusa Penida dans le sud-est de Bali. L’association souhaite initier la même dynamique du côté de Santa Marta sur la côte caraïbe de la Colombie où des pratiques de pêche destructrices ont défiguré les fonds. Là encore, les récifs coralliens, décidément peu rancuniers, pourraient bien encore une fois sortir d’affaire les hommes qui les ont mutilés...

Quelques chiffres...

1 400 ESPÈCES DE CORAUX sont répertoriées dans le monde. DEPUIS 40 ANS, 30 À 40% des récifs coralliens ont disparu. D’ici 2050, il ne devrait rester que 10% des espèces actuelles. 1KM2 de récif corallien peut générer entre 10 ET 15 TONNES de poissons et crustacés. Le bénéfice économique total annuel des récifs coralliens dans le monde est de 29,8 Mds $ (dont 9,6 du tourisme et 5,7 de la pêche). PLUS DE 26 000 coraux ont été transférés à Pulau Hatamin par l’association Coral Guardian et 30 emplois locaux créés.

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