Alpes de lumière : genèse d'un mouvement
Au milieu du Luberon, accroché au plateau des Claparèdes, surplombant le lit de l’Aiguebrun et ses rochers sculptés par la rivière, dans un endroit sauvage et magnifique, se tient Regain, une ancienne bergerie découverte et retapée par François Morenas.
Le jeune « Père-aub », ainsi qu'on désignait ceux qui, pour le mouvement des Auberges de jeunesse, fondait un nouvel établissement dans les années 1930, tombe à 22 ans, au printemps 1936, sur la ruine pastorale, qu'il baptise après avoir dévoré les romans hauts provençaux de Jean Giono, décrivant ce « pays des regains » comme un paradis reculé et mirifique du Grand Luberon. Ici, François Morenas et sa femme, Claude, fondent leur auberge, qui, plusieurs décennies durant, accueille des milliers de jeunes marcheurs.
Autour du havre de paix où s'organise une vie rustique, collective et intellectuelle, Morenas ouvre des chemins, puis les balise de couleurs différentes. Le « sculpteur de sentiers », qui travaille à la serpe, à la scie, à la pioche, au pinceau, en trace — à raison de « 300 mètres par jour », avoue-t-il — plus d'un millier de kilomètres, de Fontaine-de-Vaucluse à Simiane, de Roussillon à Monieux, de Saignon à Bonnieux, puis vers les monts du Mourre Nègre ou le pays de Sault. Quatre principaux itinéraires sont balisés en 30 ans : le « sentier de la solitude », la « route de la joie », le « sentier du haut pays lavandier », le « sentier de la couleur », tracés en jaune à travers le rougeoyant canyon du Colorado provençal.
Ils encadrent le pilier central du système pédestre mis en place par Morenas, le « sentier Regain des collines », marqué de croix, flèches, points et balises peints en bleu, de la couleur profonde du ciel du Luberon quand le soleil y joue, le matin ou le soir, ce qui conduit le randonneur à baptiser son domaine les « Alpes de Lumière ». Jean Giono rend en 1961 un double hommage aux baliseurs et à la luminosité si particulière des montagnes de Provence : « Le travail de François et Claude Morenas fait plus pour le bonheur que mille chantiers d'autoroute. Depuis des années sur l'ouvrage, ils ont dressé la carte et décrit les itinéraires des sentiers de grandes randonnées. Toutes les richesses de ce "guide du piéton" nous font pénétrer dans le vif du pays des lumières. »
Depuis 1953, et toujours très active aujourd'hui, l'association « Alpes de Lumière », fondée par l'abbé Pierre Martel (1923-2001), reprend l'oeuvre de Morenas, ayant pour objet l'étude, la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine bâti, naturel et culturel de cette Haute-Provence, notamment son sublime réseau de chemins. La revue semestrielle qu'elle édite se nomme elle aussi « Alpes de Lumière » et poursuit ce travail d'éclairage. Car il faut être à la hauteur de la lumière mordorée du Luberon, celle que Giono a su le mieux chanter en la comparant à l'éclat sacré qui baignait l'Olympe : « En levant les yeux, vous pourrez imaginer (tout naturellement) l'assemblée des dieux sur les sommets de ces Alpes de Lumière. »