Terre, une invitation au voyage

3 Questions à Michel Philips

Estelle Abecassis
3 Questions à Michel Philips

Michel Philips, plongeur-spéléologue membre de l'expédition Ultima Patagonia 2017, nous livre aujourd'hui les coulisses de son expédition au cœur du Barros Luco, au nord des îles Madre de Dios.

Dans les extraits de son journal de bord, "Voyage au centre de la terre", Michel Philips nous contait les moments marquants de l'expédition Ultima Patagonia 2017, de l'exploration spéléologique à la vie en campement.

- Terres d'Aventure : Cette expérience en Patagonie diffère-t-elle de vos autres expéditions ?

Michel Philips : La spéléologie dans nos îles de Patagonie est une expérience inoubliable. Chaque incursion, depuis la surface chaotique des plateaux de marbre blanc vers les profondeurs de la montagne nous éblouit. Nous mettons en oeuvre les techniques de spéléologie alpine tant de fois pratiquées par chacun d'entre nous, mais ici dans un cadre incroyable de conduits blancs veinés de gris et de noir. Le marbre de Madre de Dios n'a rien à envier à celui de Carrare. L'eau y creuse par endroits des bassins somptueux. Une invitation à la baignade, vite réfrénée par la température de l'eau : 4°C dans la plupart des cas. Les crues sont fréquentes ; à chaque grosse pluie, l'eau récoltée sur le plateau s'engouffre directement dans les pertes. Notre équipement de cordes est donc souvent installé en plafond. Il est plus difficile à mettre en place, mais cela assure notre tranquillité d'esprit et permet souvent de belles perspectives surplombantes sur les puits et les salles que nous explorons.

- T. A. : Les plongées souterraines et les conditions extrêmes des glaciers de marbre ont sans doute exigé une logistique particulière ? 

M. P. : Plonger dans les eaux froides des grottes de Patagonie nécessite de grandes précautions. Quand l'exploration spéléologique est arrêtée par un siphon, l'envie de poursuivre en plongée devient une obsession. Alors pour assurer notre sécurité nous avons comme leitmotiv la redondance. Tous nos équipements sont doublés, voire triplés. Cela concerne évidemment les bouteilles d'air, mais aussi les lampes, les instruments et même les cisailles en cas d'emmêlement dans l'indispensable fil d'Ariane. En dépit des distances, nous transportons tout ce matériel sophistiqué et nous l'entretenons avec précaution.

L'impératif dans cette région est de lutter contre le froid. C'est notre ennemi et plus encore celui de nos détendeurs. Nous remplissons nos bouteilles d'air spécialement filtré pour éviter toute trace d'humidité, et nos détendeurs sont classés 3 étoiles en matière de résistance au givrage.

Malgré cela, des incidents nous ont parfois contraints à un retour anticipé. Nos combinaisons, sèches ou humides, et nos gilets chauffants sont choisis en fonction de la topographie de la grotte, sachant que les critères de chaleur, d'aisance dans les mouvements, de résistance aux déchirures et de poids sont difficiles à concilier. Au final nous avons souvent bien froid et seul l'émerveillement de la découverte nous pousse à continuer.

- T. A. : Qu'en est-il de l'aspect scientifique de vos incursions ?

M. P. : Chaque exploration comporte un relevé topographique minutieux. Ce sont de longues heures à mesurer et dessiner dans le froid mais elles permettent de vraiment connaître et comprendre ce que nous découvrons. Les photographes de l'équipe en profitent pour installer leurs flashs et essayent de capter la beauté des lieux. Les scientifiques, carnet en main, relèvent des informations nouvelles quand ils ne se lancent pas dans une longue séance de scan en 3D ou un sondage de sédiment. Chaque cavité d'importance reçoit notre visite à de nombreuses reprises, il s'agit d'aller toujours plus loin dans les profondeurs du massif. Souvent un obstacle qui semblait définitif (siphon, éboulis ou étroiture) est franchi par l'équipe suivante, qui découvre en furetant le passage caché qui va permettre de contourner l'obstacle.

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