Mauritanie : la caravane des étoiles
Pour Benoît Reeves, c’est presque un crédo : la tête dans les étoiles, les pieds dans le sable. En Mauritanie, le médiateur scientifique spécialiste de l’astronomie a accompagné un groupe de voyageurs férus de planètes. Un récit à retrouver dans le dernier numéro de notre magazine TERRE.
Dans l’immensité du néant, il raconte à quel point les étoiles sont importantes pour les populations locales, pour s’orienter, pour rythmer la vie, et pour les passionnés, pour rêver à l’infini et au-delà.
Dès notre arrivée au bivouac, l’immersion est totale. Le ciel est d’un bleu si profond, si transparent qu’on pourrait presque y déceler les étoiles en plein jour. Je me surprends à les chercher, même si c’est impossible à cette heure de la journée. Les dunes, jaune orange, féminines et pures, se perdent dans l’immensité ocre constellée de rochers et de bosquets d’acacias. Bienvenue sur la Triq Lemtouni, une des plus importantes routes caravanières transsahariennes. Avant d’être totalement désertique et désertée, cette vaste étendue était sillonnée par des routes et des relais, destinés à faciliter les échanges humains et commerciaux entre l’Afrique du Nord et le centre du continent. Situé aux portes du grand Sahara, au nord-ouest de la Mauritanie, ce sentier des étoiles est une véritable chance pour les astronomes amateurs. Un lieu privilégié pour observer le ciel et apprendre à se diriger en utilisant les étoiles et les constellations, tout comme les nomades lorsque la nuit tombe, et que ne s’inscrit plus sur le sol aucune marque susceptible de les orienter. Cette connaissance est, pour beaucoup de peuples, un savoir transmis oralement dans le but de trouver sa route et de reconnaître les signes annonciateurs des saisons. Le lever, le coucher de certaines étoiles sont les signes avant-coureurs des tempêtes ou au contraire des vents favorables et des mers calmes. Elles annoncent aux paysans et aux bergers l’approche du moment propice aux plantations, et celui de la récolte.
Espace-temps
Les étoiles donnent aux êtres humains isolés, dans un paysage où les thèmes du relief se répètent à l’infini, où la végétation est éphémère, la possibilité de se situer, de se retrouver, de s’organiser. Mais ce savoir traditionnel ne s’accompagne pas d’une connaissance du mécanisme du mouvement céleste. Le nomade, même s’il ne connaît pas la rotation d’ouest en est de la Terre autour du Soleil, voit que certains astres ont un lever, un coucher, comme la Grande Ourse, par exemple. Tatrit, c’est-à-dire l’étoile au féminin, désigne Vénus, mais aussi des étoiles très brillantes, qu’elles fassent partie ou non d’une constellation. Vénus est associée à la traite des chèvres : au cours de périodes successives, elle apparaît la première le soir et disparaît la dernière au petit matin. Les principales constellations font référence aux animaux familiers des nomades, comme le dromadaire ou le chien, ainsi qu’à la faune sauvage, comme les vautours, les gazelles, le faon, ou le scorpion. La constellation d’Orion est l’une des plus anciennes et des plus connues. Les peuples arabes l’appellent Al Jabbar, qui signifie « le Géant ». Ils voyaient dans ces étoiles la forme d’un homme debout, tenant une lance dans sa main droite et un bouclier dans sa main gauche. Les trois étoiles alignées de la ceinture d’Orion étaient appelées Al Nijad, qui signifie « les Trois Sœurs ». La nébuleuse d’Orion, visible à l’œil nu comme une tache floue, était nommée Al Jauza, qui signifie « la Femme ».
Les Pléiades sont appelées Al Thurayya, ce qui signifie « les Nombreuses ». On voyait dans ces étoiles la forme d’un bouquet de fleurs ou d’un essaim d’abeilles. Elles étaient liées à la légende de Lalla Mennana, une femme sage et généreuse qui avait sept filles. Chaque année, elle leur offrait des bijoux et des vêtements qu’elle confectionnait elle-même. Un jour, Lalla fut tuée par un voleur qui convoitait ses richesses. Ses filles, inconsolables, se réfugièrent dans le ciel et devinrent les Pléiades. Les Mauritaniens considèrent ainsi les Pléiades comme le symbole de la maternité et de la bienveillance !
Télescope aligné
La nuit, pendant notre voyage au milieu de l’Adrar, nos heures de sommeil sont comptées. Nous organisons deux sessions d’observations d’étoiles. La 1e a lieu au crépuscule, pour découvrir le ciel d’hiver. Le dîner terminé, c’est à qui trouvera un prétexte pour ne pas laisser au sommeil les premières heures de cette nuit si belle… Les spectateurs s’installent confortablement. Le télescope est bientôt aligné. L’astronome prend la parole pour montrer les merveilles du ciel : la lueur zodiacale, cette ogive de lumière qui monte jusqu’au zénith durant les nuits sans lune, Orion et ses pouponnières d’étoiles, les nébuleuses de la Rosette et de l’Hélice... Mais aussi les galaxies autour de la Grande Chamelle, qui est en fait notre Grande Ourse. Les questions fusent, les échanges sont riches. Vers 23h, chacun rejoint sa tente. Pas pour longtemps, car le rendez-vous suivant est prévu à 3h du matin. Le froid est mordant, mais ça en vaut la peine : la Voie Lactée est montée au zénith, la Croix du Sud brille au-dessus de l’horizon aux côtés de la nébuleuse de la Carène et de l’amas globulaire Oméga du Centaure, qui serait en fait une galaxie satellite de la nôtre. Notre galaxie lui prélève, depuis des siècles, une rivière d’étoiles poétiquement nommée Fimbulthul — un nom emprunté à la mythologie nordique. Il est maintenant temps de dormir un peu, car le chaud soleil ne tardera pas à nous tirer du lit. Le sentier des étoiles n’est pas que nocturne. Notre périple nous mène au cratère d’Aoulleoul, un cratère d’impact météoritique circulaire daté de 3,3 millions d’années. La météorite qui en est à l’origine devait mesurer au moins 20 mètres, soit la taille d’un immeuble. Avec ses 400 mètres de diamètre, il fait partie des plus petits cratères d’impact connus dans le monde, ce qui permet d’en avoir une belle vue d’ensemble, comme le Meteor Crater, en Arizona. L’illustre Théodore Monod en avait publié une description détaillée dans le Bulletin de l’Institut fondamental d’Afrique noire en 1951. Mais ce cratère était connu depuis des temps immémoriaux par les populations locales qui l’appelaient Hofrath A’welloul. Pour terminer, que dire des peintures rupestres que nous avons admirées à flanc de falaise sur la chaîne de l’Adrar, et des champs de stromatolithes datant de 1,2 milliard d’années, l’ère du Néoprotérozoïque !