En apesanteur au Ladakh
Spécialiste de l’Asie et de l’Amérique du sud, notre responsable de voyages Thomas Callens s’est aventuré au Ladakh, cette petite région méconnue au cœur de l’Inde himalayenne. Il nous fait le récit de son expérience immersive dans le monde bouddhiste, et de moments de déconnexion salvateurs…
- Tu as voyagé en pays ladakhi, plus précisément de Rumtse au Tso Moriri. Quelles images en gardes-tu ?
L'image la plus marquante reste pour moi l'immensité des paysages du Rupshu et du Changtang. Les vallées sont profondes et sans fin, les sommets semblent être à portée de main. Pourtant, il faut plusieurs heures pour les atteindre, la majorité dépassant les 5500 mètres d'altitude. De petites rivières descendent des glaciers et des neiges éternelles qui blanchissent les crêtes, apportant un peu de vie dans ces immensités minérales en créant de fins bandeaux de verdure où viennent paître les yacks. Pour illustrer la démesure qui règne dans ces régions himalayennes, une image me reste en tête lors de la montée au col du Kyamayuri La (5430m) : nous avions devant nous les drapeaux à prières qui claquaient au vent, premier objectif de la journée, et derrière nous les trois dernières journées de marche. Nous apercevions le Horlam La (4930m) franchi la veille, la haute plaine du Tso Kar et son lac salé que nous avions longé deux jours avant. Plus loin encore, nous distinguions le Shinbuk La (5230m) et le Mandachal La (5170m), franchis respectivement trois et quatre jours auparavant !
- Y a-t-il des gens qui vivent dans ces immensités isolées ?
Nous évoluons durant tout ce trekking en haute altitude. Rumtse est le dernier village que nous traversons, le long de la sinueuse route Leh-Manali, la dernière trace de civilisation. Le contact suivant avec la population se fait à Pongunagu, où on trouve une petite superette locale sous une immense tente construite avec une toile de parachute de l'armée indienne. L'accueil est chaleureux et on y déguste un « excellent » thé au beurre. Deux jours plus tard, c'est à Nuruchan (4650m), au fond d'une vallée, que les nomades Changpas passent la saison d'été. La vie y est très rudimentaire.
Les journées s'articulent autour de la vie pastorale : chaque jour, sans exception, hommes, femmes et parfois même de jeunes enfants gravissent les pentes escarpées des montagnes autour du camp pour faire paître leurs chèvres pashmina et quelques moutons. En fin de journée, tous les troupeaux descendent pour la traite et sont parqués dans des enclos avec de haut murs en pierres sèches, gardés par des chiens, pour se protéger des loups.
Au coucher du soleil, ce sont plus d'un millier d'animaux qui convergent au même point, guidés par les cris et sifflements de leurs bergers. Les Changpas vivent dans des tentes, tissées avec des poils de yacks, semi-enterrées, subissant le climat froid et sec de cette vallée. Nous avons eu la chance de pouvoir déguster du yaourt, fraîchement préparé par leurs soins, et passer un peu de temps avec eux dans leurs tentes. Leurs conditions de vie imposent le respect.
- Dirais-tu que le Ladakh et le trekking forment un couple idéal ?
Tous les amoureux de trek et de grands itinéraires rêvent de partir marcher plusieurs jours, loin de tout, sans aucune connexion pour vivre un vrai retour à l'essentiel et profiter des temps libres pour rencontrer d'autres personnes, et échanger avec elles. La dimension sportive sur cet itinéraire, comme sur tous les itinéraires au Ladakh ou au Zanskar, est assez présente : des journées de 5 à 8 heures de marche, 7 cols entre 4930m et 5430m, du dénivelé et des centaines de kilomètres parcourus à pied d'un point A à un point B ! Un trekking au Ladakh est pour moi l'un des voyages à vivre dans une vie, quand on aime la montagne et les grands espaces. La logistique mise en place par nos équipes sur place est incroyable : pour un groupe de 12 personnes, vous êtes accompagnés par 2 guides, un cuisinier et ses 2 ou 3 assistants, et une caravane d'une quinzaine de chevaux pour porter tentes, sacs, nourriture, combustible. L'intégralité des nuits durant les treks se passent sous tente. Le coucher et le réveil sont donc de grands moments, que l'on profite des derniers rayons du soleil ou que l'on compte les étoiles sous la voie lactée.
- La spiritualité bouddhiste est incontournable au Ladakh. Ce voyage t'a-t-il apporté un nouvel éclairage sur cette région ?
Avant chaque trekking, afin d'avoir une acclimatation optimale, nous découvrons les grands monastères de la vallée de l'Indus : Alchi, Phyang, Shey, Thiksey, Matho, Hemis... Non seulement nous pouvons admirer la magnificence des édifices et la spiritualité qui se dégage des temples, peintures, murs de manis et autres moulins à prières, mais nous avons aussi la chance de pénétrer au cœur de la vie monastique : découvrir les salles de prières où des moines répètent inlassablement les mêmes mantras en comptant précisément sur leur chapelet les répétitions, les salles de réfectoire avec la possibilité de partager avec eux un repas, les processions matinales autours des stupas... D'un point de vue architectural, on découvre des peintures tantriques extrêmement fines à Alchi, une statue du buddha Shakyamuni de plusieurs dizaines de mètres de haut à Shey, la bibliothèque du « petit potala » de Thiksey ou les représentations de Padmasambhava du monastère d'Hemis blotti au pied d'une falaise... La découverte de cette religion, couplée à un trekking coupé du monde, permet de réfléchir à notre mode de vie, notre mode de consommation... Je ne sais pas si la spiritualité bouddhiste m'a apporté un nouvel éclairage sur la région, mais elle m'a certainement apporté un nouvel éclairage sur moi-même !