Colorado Trail #1 : de Denver au nord de Salida
Sylvain Bazin complète son aventure des Grand Chemins. Déjà à son palmarès : la Via Francigena, American dream à vélo, Wild Atlantic Way et chemin de Saint-Jacques-de-compostelle. Cette fois-ci, il se lance sur le Colorado Trail, un des grands chemins de randonnée des États-Unis.
Il traverse, sur 800 km, la chaîne de montagne du plus montagneux des états américains : le Colorado. Il va tenter d'en parcourir les deux tiers, de Denver au nord à Salida. Environ 500 kilomètres de sentiers et un bon challenge : il va falloir composer avec un climat chaud, un gros dénivelé et une altitude élevée. En plus, randonner aux États-Unis implique un engag ement physique et mental important : il faut le plus souvent camper et du coup transporter un chargement conséquent : tente, sac de couchage, popote et matelas sont notamment de rigueur. Se plonger dans la wilderness est donc exigeant.
Un canyon aux portes de Denver
“Lorsque je débute, aux environs de Denver, mon parcours sur ce Colorado Trail, je sens encore la fatigue de mon voyage et du décalage horaire. Mais c’est un beau canyon qui m’accueille pour des premiers kilomètres plutôt faciles, le long d’une piste très appréciée des coureurs, des cyclistes et des randonneurs locaux. Mon sac pèse tout de même pas mal sur mes épaules. J’entre bientôt dans le vif du sujet : un sentier plus étroit s’élève dans les prémices des montagnes qui seront mon décor ces quinze prochains jours. Je découvre aussi très vite l’ambiance du chemin : ce Colorado Trail commence à être populaire et je ne vais quasiment pas faire un mile tout seul. Mes premiers compagnons sont deux jeunes de Denver, puis je rencontre aussi un jeune homme de Louisiane. Ils entreprennent de faire le sentier en entier, ce qui prendra souvent plus d’un mois, ou comme moi jusqu’à Salida. Au bout de ma première étape, une mise en jambes de 26 kilomètres, le spot de campement sera bien peuplé. L’ambiance est très agréable : on échange, on se demande l’itinéraire, on discute des options et des meilleures plans de marche. On explique d’où l’on vient aussi. Il n’y a aucun jugement sur le physique, le niveau. Tout le monde fait le chemin.
Le Colorado Trail, un chemin sans solitude
Le lendemain, je repars en compagnie de Chance, un jeune homme de Louisiane, puis marche avec une toute jeune traileuse locale. Je suis d'ailleurs surpris par l'âge moyen de ces randonneurs au long cours : je passerai presque pour vieux ! Nous traversons une impressionnante zone de terres brûlées : un immense incendie a eu lieu ici vingt ans plus tôt. La nature s'y régénère doucement. Des essences différentes des pins brûlés semblent maintenant prendre la place. Cactus et plantes grasses s'y plaisent. Le paysage, très ouvert, offre des vues imprenables sur les montagnes qui nous attendent les jours suivants. "C'est mort, mais d'une belle façon", me dit ma compagne de marche du jour. Je la laisse camper un peu plus loin puisque j'ai prévu un premier ravitaillement en ville à la fin de la 3e section du Sentier, que j'atteins en fin d'après midi. J'y retrouve Brandt, un professeur de musique texan que j'avais déjà rencontré la veille. Nous décidons de faire du stop ensemble. Au bout d'un long moment, un gentil automobiliste nous fait monter pour nous déposer dans la petite localité. L'hôtel pour trekkeurs est bien rempli. Nous sommes six à nous reposer là ce soir et à profiter de ce bon repos (même si je dormirai moins bien que sous ma tente finalement) et des charmes de cette minuscule cité - qui possède tout de même sa brasserie ! Une petit bière artisanale pour faire passer 35 bons kilomètres de trek dans la chaleur, ça ne fait pas de mal !
Des montagnes, des ours et des écureuils chapardeurs.
Le lendemain, je fais équipe avec Brandt. Nous parcourons une longue et belle étape à travers des paysages typiquement américains. Une large clairière, baignée de soleil, accueille ainsi nos pas. La véritable montagne du Colorado s’annonce. Le sentier reste cependant très facile à marcher, sur un sol souple. À la clairière succède la forêt. De larges panoramas s’offrent à nos regards. Quelques cimes enneigées, même s'il faut aller très haut (nous sommes déjà à plus de 3000 mètres d’altitude) pour trouver de la neige ici. Nous grimpons cependant régulièrement, lacets après lacets. C’est dans une autre clairière que nous installerons notre campement. D’autres “hikers” nous y rejoindront. Chance, qui a du mal à s’acclimater, arrivera tardivement. Nous sommes tous bien fatigués et après un dîner rapide (les lyophilisés font toujours autant regretter la “vraie” nourriture), chacun regagne sa tente avant même la nuit tombée.
Mon sommeil sera cependant vite interrompu : des grattements, des voix qui disent “black bear”… Je sors de mon abri et pointe dans le faisceau de ma lampe un intrus aux oreilles rondes. C’est effectivement un ours noir, venu tenter d’ouvrir le sac à nourriture de Chance. Il contient du poisson séché. C’est sans doute cette odeur assez forte qui a attiré notre ami. Je me rendors assez vite. Le lendemain, c’est encore une très grosse journée de marche qui nous attend. Nous passons deux cols, dont l’un à plus de 3500 mètres d’altitude. Nous sommes maintenant clairement dans les montagnes. Le décor pourrait me sembler plus familier. Néanmoins, certaines couleurs, dans les ocres, ainsi que la forme des sommets, entre les Alpes et le Jura en termes d’arrondis, leur confèrent leur particularité. Pour Brandt, qui vit dans une région plate, c’est tout à fait dépaysant. C’est au bout de 47 kilomètres de marche que nous campons, pas loin d’un beau torrent qui descend des sommets. Cette nuit, pas d’ours, mais lorsque je me réveille je ne trouve plus ma trousse de toilette, mon répulsif à insectes et ma poubelle. Curieux larcin dont nous soupçonnons les écureuils d’être responsables. Qu’importe, nous reprenons le chemin pour 12 petits miles qui nous mènent à Breckenridge, la première véritable halte “civilisée” du parcours. Le burger est le bienvenu et c’est attablé que je termine ces lignes. Je reprends demain le sentier avec l’idée d’aller en deux jours jusqu’à Leadville. Et de profiter entre temps des beautés des montagnes du Colorado."